Les programmes des gardiens en Alaska entraînent des retombées positives pourla baie de Bristol et au-delà

Salmon Sockeye dans la rivière Knutsen.

Toutes les photos sont publiées avec l’aimable autorisation de Bill Kane, Tribal Steward.

1 décembre 2025.

English

C’est un matin frais et vivifiant sur les rives du lac Iliamna, une région de mille habitants située dans le sud-ouest de l’Alaska. Mary Hostetter, gardienne du territoire, et Brandon Jensen, un pilote de drone collaborant avec le programme des gardiens de la baie de Bristol, se préparent à faire voler un drone. Mary et Brandon s’apprêtent à quitter la maison de Brandon et pour se rendre en voiture à Knutsen Beach afin d’étudier le frai des saumons, en compagnie de leur partenaire de recherche, Curry Cunningham. Le projet, soutenu par le programme des gardiens de la baie de Bristol – qui vise à développer l’intendance environnementale dans la région du lac Iliamna, en Alaska – utilise des images aériennes captées par drone afin de documenter le retour des saumons rouges adultes vers leurs lieux de frai dans le bassin versant de la rivièreKvichak. Il permet d’obtenir des données de référence sur le frai du saumon rouge en recueillant des images par drone des cours d’eau et des plages. Ce projet revêt une importance particulière, car, précise Mary, « il ne s’agit pas seulement de savoir combien de saumons sont présents, mais aussi de comprendre leur relation avec les rivières et la façon dont ils interagissent avec l’ensemble du réseau fluvial ».

Mary Hostetter et Colter Barnes s’entraînent à effectuer des relevés par drone de la rivière Gibraltar.

Ici, comme dans de nombreuses régions de l’Alaska, on observe déjà les effets des changements climatiques sur le territoire et les schémas de migration des espèces sauvages. Ces transformations touchent directement les communautés qui dépendent de leurs parents à nageoires, à quatre pattes et à plumes pour les récoltes traditionnelles. En recueillant ces données, le programme des gardiens comble une lacune découlant des compressions budgétaires de l’État de l’Alaska, qui n’a plus le financement nécessaire au maintien du programme de relevés aériens sur la fraie du saumon rouge dans le bassin versant de la rivière Kvichak. « Il est important pour les communautés de comprendre à quel niveau d’abondance nos saumons reviennent afin que nous puissions enrichir nos connaissances traditionnelles et planifier notre avenir », poursuit Mary. Au-delà de sa contribution aux données sur le saumon, ce projet illustre un autre objectif clé du programme des gardiens de la baie de Bristol : collaborer avec les populations locales et leur offrir des emplois durables ancrés dans la culture, la langue et l’attachement au territoire.

Exercices de relevé par drone sur les rives du lac Iliamna avec des saumons sockeye.

S’inspirant de programmes des gardiens autochtones dynamiques partout au Canada, le programme des gardiens de la baie de Bristol repose sur le pouvoir transformateur de l’intendance dirigée par les Autochtones et de partenariats collaboratifs visant à renforcer la résilience et le bien-être des communautés. Le programme des gardiens de Bristol Bay compte parmi de nombreux programmes, établis ou en émergence, déployés à l’échelle de l’État. Ce projet pilote a vu le jour à Igiugig en 2022, dans la foulée de la subvention octroyée au programme des gardiens de la baie de Bristol par le Tribal Stewardship Office dans le but de créer un programme régional de surveillance communautaire. Ce programme a pris de l’expansion en 2024 lorsque le village d’Igiugig et l’organisme Nature Conservancy ont obtenu une subvention de 1,9 million de dollars (USD) du programme Climate Resilience RegionalChallenge de la NOAA. Trois ans plus tard, les gardiens de la baie de Bristol participent à une vaste gamme de projets : collaboration avec la National Audubon Society pour surveiller les populations d’oiseaux migrateurs dans des habitats essentiels, entente de coopération avec le US Fish and Wildlife Service pour renforcer la détection et l’intervention précoces dans le cadre de la lutte contre les espèces envahissantes, participation à un projet pilote de « boîtes à incubation » des œufs de saumon, développement d’une entente collaborative de suivi de lapopulation de caribous dans le parc national et la réserve de Katmai, et création d’un programme régional de surveillance du saumon rouge, pour n’en citer que quelques-uns.

Redonner le pouvoir décisionnel aux communautés

Surplombant le lac Kukaklek, à la recherche de caribous.

Autrefois, plusieurs de ces projets étaient supervisés par des chercheurs de l’État, du gouvernement fédéral ou du secteur privé. Le programme des gardiens va toutefois bien au-delà de la simple création d’emplois : il favorise également la participation de la population locale et oriente les priorités de la recherche en fonction des besoins de la communauté. Dans les communautés situées autour du lac Iliamna, comme dans de nombreux villages autochtones de l’Alaska, le savoir autochtone est riche – mais il a été longtemps été ignoré par les chercheurs de l’extérieur et par les décideurs. La présence des gardiens sur le terrain change la donne : ce sont des experts formés qui conjuguent savoir autochtone et science occidentale en appui aux décisions des Nations et des communautés. En Alaska, leur travail guide également les décisions en matière de financement et la conduite des relations entre les Tribus et les autorités étatiques ou fédérales. « Dans le passé, la plupart des Autochtones de l’Alaska ne participaient pas aux activités scientifiques et de recherche. Pendant des centaines d’années, les colonisateurs sont venus nous dire que nos observations sur le territoire – la façon dont nous nous y déplacions, y vivions et y prospérions – n’avaient pas d’importance », explique Mary. « Une grande partie des activités de recherche et de surveillance dans les communautés autochtones d’Alaska est financée par des subventions fédérales. Mais ces dernières ont toujours privilégié les priorités du gouvernement fédéral plutôt que les besoins de la communauté, et les priorités de l’industrie et des compagnies d’extraction déterminaient les recherches menées sur le territoire. Le programme des gardiens offre maintenant une occasion de prendre en charge ces travaux de recherche, de donner aux communautés le pouvoir d’éclairer les décisions ».

Des emplois durables dans les régions éloignées

Jon Salmon sur le territoire, à la recherche d'orignaux.

La mise en place d’un programme des gardiens offre d’autres avantages : il transforme notamment la manière dont les gens se perçoivent et le regard qu’ils portent sur leurs propres connaissances à propos du territoire, des eaux et des espèces sauvages. Pour la première fois, indique Mary, des jeunes se voient représentés dans les emplois de surveillance environnementale et réalisent qu’ils peuvent combiner leur connaissance intime de leurs terres ancestrales avec un diplôme traditionnel et mettre ces atouts à profit en devenant gardien. « La possibilité d’être gardien et d’avoir un emploi stable dans un village éloigné pourrait véritablement changer la donne », estime Mary. Dans les régions éloignées, tout comme dans de nombreuses régions nordiques, il est parfois difficile de trouver un emploi. En raison de la complexité géopolitique des questions de droits de propriété foncière et des titres de propriété en Alaska, la plupart des emplois dans ces régions éloignées sont liés aux activités d’extraction, comme l’exploitation minière ou le forage de pétrole et de gaz. Plusieurs de ces projets promettent des emplois, mais s’appuient ensuite sur une main-d’œuvre venue de l’extérieur, présente de manière saisonnière et repartant après de courtes périodes. Les programmes des gardiens n’offrent pas seulement une option plus durable aux emplois dans l’industrie extractive, ils garantissent également la création d’emplois pour la populationlocale et le développement des dons, des talents et des connaissances au sein de la communauté. C’est là le fondement du mouvement des gardiens : un travail ancré dans la souveraineté des tribus, la revitalisation culturelle, la langue et le mode de vie des Autochtones de l’Alaska.

Combler le manque d’intervenants d’urgence

Un bateau navigue sur le créneau Kaskanak, un affluent de la rivière Kvichak, une importante zone de récolte traditionnelle.

Les programmes des gardiens offrent également une solution à un autre besoin croissant en Alaska : celui des intervenants d’urgence. Dans cet État, les communautés éloignées sont depuis longtemps confrontées aux effets des changements climatiques. À Igiugig, l’équipe des gardiens participe à la collecte de données climatiques liées à l’épaisseur de la neige, mais en 2024, ils n’ont pu recueillir que deux points de données en huit mois en raison d’un enneigement extrêmement faible – ce qui constitue un écart important comparativement à la norme. Par ailleurs, les recherches indiquent que l’Arctique, qui couvre une grande partie de l’Alaska, se réchauffe à un rythme quatre fois plus rapide que le reste de la planète. Depuis des décennies, de nombreuses communautés observent et signalent ces changements. Plus récemment, les restes du typhon Halong ont dévasté des communautés dans le delta du Yukon-Kuskokwim, déplaçant des centaines de personnes et rendant des villages entiers

inhabitables dans l’avenir prévisible. Si les programmes des gardiens ne peuvent empêcher ces événements climatiques catastrophiques, de nombreux exemples montrent que des gardiens agissent à titre de premiers intervenants communautaires lors d’inondations, d’accidents de bateau ou d’incendies de forêt. Miaraq Warren Jones, coordonnateur régional de l’Alaska pour l’Initiative de leadership autochtone, estime que les programmes des gardiens représentent un changement majeur dans la manière d’aborder les urgences et les effets des changements climatiques dans les communautés autochtones de l’Alaska, y compris celles qui ne sont accessibles que par petit avion ou par bateau.

« Non seulement la formation des gardiens est une stratégie rentable pour répondre aux urgences, qu’elles soient petites ou grandes, indique Jones, c’est aussi une question de bonsens. Le personnel de l’État ou du gouvernement fédéral met beaucoup de temps à se rendre dans ces villages. Et comme le gouvernement fédéral impose actuellement des coupes budgétaires partout aux États-Unis, nous avons aujourd’hui beaucoup moins de personnel en mesure d’intervenir dans ces régions. Nous devrions renforcer dès maintenant la résilience de nos communautés, avant qu’il ne soit trop tard. »

Des conversations locales à l’AFN : Le mouvement des gardiens en plein essor en Alaska

Brandon Jensen, Mary Hostetter et Curry Cunningham partagent leurs connaissances sur les relevés par drone sur la plage Knutsen.

L’essor des programmes des gardiens prend de l’ampleur partout en Alaska, tant à l’échelle locale qu’en matière de politiques publiques : plusieurs communautés disposent déjà de leur propre programme, et de nombreuses autres cherchent à comprendre comment en créer un. Lors de la convention 2025 de l’Alaska Federation of Natives (AFN), le gouvernement tribal de la communauté aléoute de l’Île-Saint-Paul a présenté une résolution visant à reconnaître officiellement les programmes des gardiens, des rangers et sentinelles comme un moyen de renforcer la souveraineté tribale, la sécurité alimentaire et la résilience climatique. La résolution explique comment ces programmes fournissent des emplois intéressants, forment la prochaine génération aux pratiques traditionnelles et à la science occidentale, et soutiennent les économies locales grâce à l’intendance dirigée par les Autochtones. Les délégués de l’AFN 2025 ont demandé à la délégation du Congrès de l’Alaska, à l’État de l’Alaska, aux agences fédérales et aux partenaires philanthropiques de reconnaître, de soutenir et de garantir des investissements permanents et récurrents pour les programmes des sentinelles, des rangers et des gardiens, et de les intégrer à des cadres de cogestion des tribus, de l’État et du gouvernement fédéral. Ils ont également insisté sur l’importance de collaborer avec les tribus, les organisations tribales, les sociétés autochtones de l’Alaska et d’autres organisations autochtones de l’Alaska afin d’étendre ces programmes à l’ensemble de l’État. Au fil de leur expansion en Alaska, les programmes des gardiens cherchent à se doter d’un cadre pour mettre en place leurs initiatives, tout comme Mary l’a fait lorsqu’elle a commencé à mettre en place le programme des gardiens de la baie de Bristol. Ce programme, qui deviendra un petit réseau régional et un centre de collecte et de partage de données, est une source d’inspiration pour beaucoup et un modèle pour le fonctionnement des programmes dans l’État. Hannah Marie Garcia-Ladd, directrice du Indigenous Sentinels Network, un programme des gardiens bien établi dans la communauté aléoute de l’Île-Saint-Paul, indique que le travail des sentinelles, et celui des gardiens dans tout l’État, est unique dans l’environnement politique plus large de l’Alaska. Elle voit le travail des sentinelles dans sa communauté de la même manière que Mary voit celui des gardiens de la baie de Bristol : en tant qu’Autochtones de l’Alaska, ils se réapproprient leur propre pouvoir dans la prise de décision concernant les ressources du territoire, et l’acquisition des outils et des ressources nécessaires pour guider la prise de décision sur la façon d’en assurer l’intendance. Garcia-Ladd explique que « l’intendance, c’est le fait de nous voir nous-mêmes au cœur du processus de prise en charge de nos lieux de vie; il ne s’agit pas seulement de “gérer” des ressources, mais d’en prendre véritablement soin ».

Évaluation du débit du cours d'eau pour l'USGS.

De retour à Pedro Bay, Mary, Brandon et Curry ont terminé leur vol. Ils téléchargent des centaines d’images captées par drone, chacune montrant une portion de Knutsen Beach où fraient les saumons rouges. Ces images constituent une base de données de recherche en pleine expansion, détenue par la communauté, qui peut renforcer la résilience et consolider la souveraineté tribale. « Je suis émue parce que, quand j’étais jeune, je n’ai jamais vu de personnes issues de nos communautés – des gens qui me ressemblent – faire ce travail, confie Mary. Être gardienne, pour moi, c’est renouer avec l’idée que nos expériences vécues sur le territoire constituent un véritable savoir. Le fait que je représente notre identité autochtone de l’Alaska auprès de nous-mêmes, de nos jeunes, est très puissant. » Elle souhaite que chaque communauté de l’Alaska puisse en faire l’expérience et constater l’apport des gardiens, ce qu’ils peuvent représenter pour un village, pourquoi il est important de soutenir cette vision et, ultimement, que chacun puisse s’y reconnaître.

Suivant
Suivant

Les gardiens K’ahsho Got’ine luttent contre les incendies de forêt et soutiennent lesinterventions d’urgence dans les T.N.-O.